En 46 éditions le festival international du court-métrage de Clermont-Ferrand s’est fait un nom et une réputation de découvreur de talents. Le 10 février dernier, les jurys du festival, la plus importante manifestation du genre au monde, ont tranché entre 133 films pour récompenser les meilleurs. Mais quid de l’après ? Ces petits bijoux de scénarios concis et efficaces servis par des images léchées doivent-ils rester l’apanage de quelques « happy few » le temps du festival ou aller à la rencontre du grand public dans les salles obscures ?
Peu répandu dans les circuits de distribution classique, le court métrage profite néanmoins d’un intérêt certain auprès de ceux qui y sont confrontés. Le CNC et certains distributeurs essayent bien de promouvoir le court-métrage mais cela reste anecdotique.
Un court-métrage en début de séance de cinéma
L’idée n’est pas neuve puisqu’en 1940 une loi avait été promulguée pour rendre obligatoire le passage d’un court métrage en début de séance, avec une partie des recettes réservée au petit film (Loi dévoyée en 1953 en supprimant la rémunération pour le court et l’obligation, au grand dam du « groupe des trente » réalisateurs). Des journées du court-métrage sont organisées d’abord à Tours, puis à Grenoble, ou encore Lille. Cette longue migration s’est achevée en 1982 avec la création du Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand, la manifestation phare du genre.
Au Forum des images aux Halles de Paris, les courts-métrages récompensés au Festival de Clermont-Ferrand vont être présentés.
Dans la compétition nationale, le Grand Prix est revenu à la réalisatrice française Julia Kowalski, pour son film J’ai vu le visage du diable. Née en France de parents polonais, Julia Kowalski interroge à travers ses films son rapport à son pays d’origine, affinant sans cesse ses thèmes de prédilection : le milieu ouvrier, l’adolescence, la famille, la sexualité, alternant fictions et documentaires.
Le prix Spécial du jury a quant à lui été décerné à Et si le soleil plongeait dans l’océan des nues de Wissam Charaf tandis que le public a choisi de remettre son prix aux Mystérieuses Aventures de Claude Conseil de Marie-Lola Terver et Paul Jousselin. La Sacem a remis le prix de la meilleure musique originale à 27 de Flóra Anna Buda (déjà récompensé de la Palme d’Or du court-métrage à Cannes cette année) et Télérama a attribué son prix de la presse à Montréal en deux d’Angélique Daniel.
Le petit plus de cette séance du 3 mars : la présence des équipes des films diffusés
Des bonnes initiatives pour promouvoir « le court »
Près de 30 ans après avoir créé le RADI (Réseau alternatif de diffusion), L’Agence du court métrage renomme son offre « L’extra Court » qui propose un catalogue de 200 films aux durées courtes, adaptés à la diffusion en première partie de programme, à des tarifs spécifiques.
De son côté l’association Plein Champ, créée en Auvergne en 1992 à l’initiative d’exploitants locaux de salles de proximité et du Festival International du Court Métrage de Clermont-Ferrand font la promotion d’une « programmation diversifiée » et de films d’auteur.
En 1986 le sénateur de Haute-Savoie Charles Bosson avait prôné auprès du ministère de la culture et de la communication de l’époque « d’imposer aux salles de cinéma d’observer leurs obligations à l’égard des films de court métrage en les projetant à chaque séance en 1re partie, au lieu de projeter en leur place quelques séquences de leurs prochains films qui de surcroît ne sont généralement pas encore autorisés et sont souvent inadaptés aux spectateurs présents. Une action énergique, qui n’a jamais véritablement été poursuivie contre ces errements, au besoin sous peine de sanctions, aurait un effet salutaire sur la production française de courts métrages, notamment de films d’animation dont le rôle est de plus en plus reconnu sur le plan artistique, pédagogique, scientifique et publicitaire.»
La réponse du ministère avait alors essayé de noyer le poisson puis botté en touche en renvoyant dos à dos les producteurs et les distributeurs de cinéma dans un status quo bien regrettable.
Le court-métrage, un vivier de talents
Le court-métrage est bien souvent la première marche du grand escalier de la culture cinématographique.
De nombreux réalisateurs de renom ont débuté leur carrière dans le monde du court-métrage avant de passer à des longs métrages acclamés. Voici quelques exemples :
Christopher Nolan : Il a réalisé plusieurs courts-métrages avant de réaliser son premier long métrage, « Following » en 1998. Il est surtout connu pour des films comme « Inception » et « The Dark Knight Trilogy ».
Wes Anderson : Avant de devenir célèbre avec des films comme « The Grand Budapest Hotel » et « Moonrise Kingdom », Anderson a réalisé plusieurs courts-métrages et son premier long métrage « Bottle Rocket » (1996) était l’extension d’un court-métrage du même nom.
David Lynch : Lynch a réalisé plusieurs courts-métrages avant de devenir célèbre pour ses films étranges et atmosphériques comme « Mulholland Drive » et « Blue Velvet ».
George Lucas : Avant de créer la saga « Star Wars », Lucas a réalisé plusieurs courts-métrages expérimentaux et narratifs, notamment « THX 1138: 4EB » qui a été adapté plus tard en long métrage.
Martin Scorsese : Il a commencé sa carrière avec des courts-métrages avant de réaliser son premier long métrage, « Who’s That Knocking at My Door » en 1967. Il est devenu célèbre pour des films tels que « Taxi Driver » et « Goodfellas ».
Spike Lee : Avant de réaliser des longs métrages influents tels que « Do the Right Thing » et « Malcolm X », Lee a réalisé plusieurs courts-métrages, y compris « Joe’s Bed-Stuy Barbershop: We Cut Heads ».
Denis Villeneuve : Le réalisateur canadien a commencé avec des courts-métrages avant de réaliser des longs métrages acclamés comme « Prisoners » et « Arrival ».
Lars von Trier : Avant de devenir célèbre pour ses films controversés comme « Antichrist » et « Melancholia », ou le sublime « Breaking the waves » von Trier a réalisé plusieurs courts-métrages expérimentaux.
En France Jacques Audiard a réalisé plusieurs courts-métrages avant de réaliser son premier long métrage, « Regarde les hommes tomber » en 1994. Il est notamment connu pour des films tels que « Un prophète » et « De rouille et d’os ».
Comme Michel Gondry : Avant de devenir célèbre pour des films comme « Eternal Sunshine of the Spotless Mind », Gondry a réalisé plusieurs courts-métrages innovants et créatifs.
Jean-Pierre Jeunet : Jeunet a commencé sa carrière avec des courts-métrages avant de réaliser des longs métrages visuellement époustouflants tels que « Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain » et « Delicatessen ».
Gaspar Noé : Avant de réaliser des films controversés comme « Irréversible » et « Enter the Void », Noé a réalisé plusieurs courts-métrages expérimentaux.
François Ozon : Le réalisateur français a débuté avec des courts-métrages avant de réaliser des longs métrages audacieux comme « 8 femmes » et « Swimming Pool ».
Xavier Dolan : Bien que né au Québec, Dolan a étudié et débuté sa carrière en France. Il a réalisé des courts-métrages avant de réaliser des longs métrages comme « J’ai tué ma mère » et « Mommy ».
Mathieu Kassovitz : Kassovitz a commencé avec des courts-métrages avant de réaliser des longs métrages percutants comme « La Haine » et « Un illustre inconnu ».
La liste est tellement longue de ces réalisateurs qui ont tous commencé par explorer leur créativité à travers des formats plus courts avant de passer à des projets plus ambitieux.
Il en va de même pour les acteurs, qui ont presque tous débuté dans des courts-métrages. On peut citer en vrac Nathalie Portman et Charlize Theron, Matt Damon et Ben Affleck, notre oscarisé Jean Dujardin, Marion Cotillard, Omar Sy, Vincent Cassel et Mélanie Laurent.
Une idée à relancer
Plutôt que de prétendre imposer l’exception culturelle depuis 30 ans, retrouver des courts-métrages en première partie des films de cinéma agirait efficacement pour la pluralité, la richesse culturelle et l’éducation émotionnelle auprès de toutes les générations, en mettant sous les « feux de la rampe » des nouveaux talents à suivre…