Le courrier des entreprises

APM Auvergne Nouveau Monde – Leadership : pouvoir, autorité et légitimité

Agrégé de l’Université, ancien enseignant-chercheur à Oxford et lauréat de la Fondation Besse, Christian Monjou est spécialiste des civilisations anglo-saxonnes. Professeur de chaire supérieure en khâgne au Lycée Henri IV à Paris, il est également chargé de cours d’agrégation à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm.
Christian Monjou intervient dans de nombreuses entreprises par le détour de l’Art pour évoquer des problématiques managériales telles que le leadership, la relation à l’autre, l’innovation et la concurrence positive, l’inter-culturel, le discernement en temps de crise.

Le leader décrypté

Le leader est celui qui est décrypté. Ceci signifie que le leader encode un système de signes mais n’est jamais maître du décodage. Les collaborateurs attendent du leader qu’il donne du sens qu’il encode et qu’ils décodent. Mais ce décodage non maîtrisé est une souffrance pour le leader car c’est une trahison qui lui fait comprendre qu’il n’y a pas de leadership sans profonde souffrance.

Lire, relier et donner un sens aux événements

La capacité managériale du leader est de pouvoir lire les événements pour les relier et leurs donner un sens. Pour s’adapter en permanence aux évolutions de son environnement, le leader doit relancer sans cesse sa capacité créatrice et éviter de se répéter.
Il doit avoir le courage de briser volontairement son style et son modèle, comme Picasso, pour se renouveler.
C’est pourquoi un grand dirigeant vit toujours avec une légère inquiétude. Le leader doit se laisse surprendre par ses collaborateurs parce qu’une équipe ne peut se risquer dans l’acte de création que si le regard du dirigeant ne l’enferme pas dans une image figée. En ce sens le leader est un être de regard. Sa légitimité se lit dans le regard de celles et ceux dont il porte le souci et se traduit en retour par leur loyauté, leur motivation et leur engagement.

Corps public et son corps privé

Un dirigeant a besoin de gérer l’image du pouvoir, notamment par la conformité d’une certaine attitude avec les attentes de ses collaborateurs.
Cette maîtrise de l’image par la mise en conformité permet aux collaborateurs de réagir de façon appropriée aux situations. Le pouvoir a des attributs dont le leader doit être conscient.
Un pouvoir qui peut se passer d’attribut est un pouvoir très fort. Conscient de ses faiblesses il lui faut soigner les attributs et instaurer des rituels. Les rituels font partis des attributs et il appartient au leader de les maintenir et de les faire évoluer. Pour ce faire le leader cultive un strabisme divergeant en regardant vers l’extérieur et un strabisme convergent qui regarde vers l’intérieur.
La discordance entre corps public et un corps privé du leader est interprétée comme un manque d’exemplarité et atteint sa légitimité. Le leader a un visage, celui de sa personne et un masque celui de son rôle.
Derrière le visage il y a la légitimité charismatique, derrière le masque il y a la légitimité institutionnelle. Le leader doit donc définir son rôle et le jouer.

Le temps du leader

Le leader lève pour lui-même et pour les autres la tyrannie terroriste de l’instantané en cultivant l’ouverture et la conciliation des contraires. Afin de conjurer le risque du centralisme impérial, il faut donc au pouvoir de l’hétérodoxie à côté de l’orthodoxie.

Avoir une légitimité de responsabilité, c’est avoir un positionnement conscient et choisi qui nécessite un devoir de présence, avec une part de souffrance discrète la solitude du décideur.

Dans l’entreprise, les autres acteurs voient leurs dirigeants comme des dieux, ils ne dissocient pas les images du pouvoir et créent forcement des distorsions. Un dirigeant doit les prendre en compte et gérer ce qu’il montre à voir.

Pour assumer le pouvoir, le leader à besoin de disposer à la fois d’une légitimité institutionnelle et d’une légitimité charismatique. La première vient du passé, de l’histoire, alors que le charisme émane de sa personne.

La mobilité du leader

La solution d’un problème est d’autant plus facile à trouver que l’on accepte de bouger face à la difficulté. Cette capacité du leader à se décaler se fonde dans la mobilité interne et la souplesse intellectuelle. Face à la contrainte, le leader doit se garder de deux attitudes. Renoncer à son pouvoir en étant fataliste ou ignorer délibérément les contraintes Dans les deux cas il n’est pas réaliste alors qu’il doit précisément être celui qui est capable de changer le regard sur le réel. Le leader sait qu’il y a des anamorphoses dans le monde et qu’il faut varier les angles à partir desquels on regarde. Pour ce faire, il recrute des gens différents et des gens créatifs qui ont un regard d’enfant.

Le fou du roi : un sage réaliste

Pour être légitime, conscient du monde dans lequel il est le leader crée une vision. Avant la révolution copernicienne, l’homme était le centre du monde. Dans la période post copernicienne, privé des anciens repères, le leader qui n’est plus au centre doit inventer un langage pour se faire comprendre. Il va lui falloir inventer collectivement dans l’entreprise qui est le lieu où l’on improvise à plusieurs.

Pour ne pas rester figer il doit s’entourer d’un « fou du roi ». Le Fou a le pouvoir de poser et de dire, en toute impunité, le regard qu’il a de la réalité et il légitime ainsi le leader. Il empêche les conseillers-fenêtres de devenir des courtisans-miroirs et assure l’exercice d’une d’opposition. Le fou est traversé par la douleur et par l’amour pour sa communauté et son roi et. Il se place du côté de la réalité, de la vérité et il lui faut du courage pour être toujours celui qui empêche un dirigeant de s’enfermer dans un rapport narcissique à lui-même.

Kaïros : Le sens de l’opportunité

Un grand dirigeant croit au kaïros. Il est celui qui renverse l’obstacle et transforme la chance en opportunité. Il sait définir et délimiter la ligne de partage entre l’ombre et la lumière quand il a plusieurs fois traversé cette expérience de sentir où passe cette séparation entre le succès et l’échec. La grande question du dirigeant est bien celle de la connaissance de soi car il n’est pas acceptable que ses collaborateurs souffrent de son absence de lucidité sur lui-même. Il doit se méfier de la gestion de ses attributs et de la multiplication des signes comme de l’hyper sacralisation qui pourrait chercher à dissimuler la forme hasardeuse de la légitimité. C’est pourquoi il doit cultiver une exigence lucide et bienveillante et accepter la caricature qui fonde la réalité et son pouvoir.

En conclusion 

Christian Monjou amène, avec tact et élégance, les dirigeants du club APM Auvergne Nouveau Monde à prendre conscience qu’ils ne doivent jamais perdre de vue la question essentielle de la construction constante de leur légitimité. Pour assoir leur légitimité il leur conseille de pratiquer la tempérance en étant maitre de leur cœur et en évitant l’orgueil, le bas et le vulgaire et les invite à développer la Communication, l’Organisation, l’Art du compromis, la Vision, l’Intelligence intellectuelle et l’Intelligence émotionnelle. Ils pourront ainsi exercer faire croitre et grandir leurs collaborateurs autant que eux-mêmes, ce qui est le fondement même de l’APM.

 

Un compte rendu de Gilles Flichy