Dans le Cantal, on a parfois une petite tendance – très française – à l’auto-flagellation, une sorte de complexe d’infériorité nous poussant à penser que l’herbe est toujours plus verte ailleurs.
Professionnellement, nous alimentons souvent le mythe selon lequel, pour réussir dans la vie, il faut partir d’ici. On met volontiers en avant des expatriés auvergnats qui ont connu des réussites exceptionnelles à l’extérieur de la région voire à l’autre bout du monde.
On a tous en tête les brasseurs parisiens bien sûr, tel journaliste sportif « vu à la télé », tel chef cuisinier étoilé parti à Singapour, tel designer automobile célèbre…
Et si on remonte plus loin encore, ce mythe a construit l’image de deux présidents de la république : Paul Doumer, héros de la IIIème République, seul président français assassiné au XXème siècle, né à Aurillac !
Il n’en faut pas plus pour qu’on fasse de lui un authentique cantalou, alors qu’il est né ici par hasard, son père travaillant temporairement sur la construction de la ligne de chemin de fer d’Aurillac.
Le mythe de Georges Pompidou, deuxième président de la Vème République, est plus sérieux. Nous en faisons un président enraciné dans le Cantal. Or, s’il est bien né à Montboudif, sa famille a rapidement fait ses valises pour Albi, et Georges Pompidou revenait rarement chez ses grands-parents cantaliens.
Une fois adulte, il a acheté une maison dans le Lot (!) et passait la plupart de ses vacances à Saint-Tropez. Il s’était toutefois stratégiquement fait élire député de Saint-Flour mais ne revenait guère que pour une tournée de 2 ou 3 jours par mandat, au cours desquels il faisait campagne en arpentant le Cantal pour inaugurer quelques chrysanthèmes et échanger quelques mots de patois avec les autochtones en extase devant ce « président-paysan ».
Pourtant, ce qu’il a fait pour le Cantal est mince au regard des responsabilités éminentes qui étaient les siennes, surtout si on a la cruauté de comparer avec les actions de Chirac ou Hollande pour la Corrèze.
Bref, gardons en tête que les expatriés sont partis !
Souvent définitivement. Leurs intérêts ne sont plus les nôtres. Ils ne voient plus le Cantal comme nous, mais souvent avec le souvenir nostalgique de leur jeunesse.
Ainsi Jean Todt, il y a quelques jours, nous disait que la limitation de vitesse à 80km/h était une bonne mesure. Et qu’au quotidien, ça ne change pas grand chose.
Mais Jean Todt roule-t-il beaucoup sur les routes du Cantal ?
Pompidou était un parisien, il se servait de ses racines cantaliennes mais ne venait jamais ! La plupart des expatriés cantaliens ne reviennent pas ou alors une semaine par an. Ils ne sont pas non plus des soutiens pour le territoire. Pouvez-vous citer un projet impulsé par des auvergnats expatriés ?
Les auvergnats de Paris ne sont pas les aveyronnais de Paris, qui eux s’investissent pour le développement économique de l’Aveyron. On peut citer l’exemple de Laguiole qui doit son succès à la relance de la production locale de couteaux dans les années 80, à l’initiative d’un aveyronnais parisien soucieux de renvoyer l’ascenseur à son territoire natal.
On peut aussi citer l’exemple éclatant de l’artiste Pierre Soulages qui a donné des dizaines de millions d’euros d’oeuvres pour faire le musée Soulages de Rodez qui est aujourd’hui le principal élément d’attractivité touristique de la ville.
A quoi cela sert-il de faire des expatriés les héros du territoire cantalien ? Cela ne les sert pas, ils n’ont pas besoin de nous. Et cela ne sert pas non plus le Cantal.
Car en glorifiant les expatriés, en mettant systématiquement en exergue les réussites éclatantes hors du département, en faisant d’eux des exemples, nous incitons nos jeunes à partir à leur tour.Si on regarde la situation démographique du département, on doit pouvoir faire l’économie de cette promotion à l’exil.
Quand cette communication est le fait des media, on peut leur trouver l’excuse du manque de sujets locaux, ce qui les incite probablement à piocher soit dans leurs archives (il suffit de regarder la rubrique « Mauriac » de La Montagne un jour sur deux) ou bien dans leurs bases de contacts à l’extérieur…
Quand ce genre de communication est institutionnalisée, on peut se poser la question du pourquoi. Comme nous le disait un expert en communication qu’on avait reçu à l’APM : « Toute communication doit avoir un but, et s’il n’y a pas de but, c’est qu’il ne faut pas communiquer ».
Car les vrais héros sont ici ! Si on veut que les jeunes aient envie de rester, de s’investir dans le territoire, il faut leur donner des exemples de réussites locales, made in Cantal ! Nos héros ne sont pas à Paris ! Ils sont à Aurillac, à Marcolès, à Murat, à Maurs, à Ydes, à Saint-Illide, à Pleaux, à Chaudes-Aigues, à Massiac, dans les hameaux, les villages cantaliens !
Les vrais héros sont ceux qui restent ! Pas ceux qui partent !
Mettons en avant les porteurs de projet cantaliens dont on manque cruellement ! Ils en ont besoin ! Ils ont besoin de ce sentiment de reconnaissance qui donne des ailes aux entrepreneurs, ils ont besoin de communication qui les aidera à étendre leurs projets au-delà des frontières, et leur permettra de prendre plus d’initiatives localement.
Des héros, on en a plein, ce sont :
– Les agriculteurs qui malgré des conditions difficiles choisissent la qualité : mention spéciale aux producteurs de fromages Salers, aux producteurs bio de plus en plus nombreux. Pour en citer quelques uns, la famille Calmels à Mons de Chalinargues qui collectionne les médailles pour ses fromages, la Maison Rouge à Vitrac dont je me délecte du lait et des yaourts bio.
– Nos héros, ce sont les personnels médicaux, qui dans des conditions pas toujours optimales, nous permettent malgré tout d’enrayer de désert médico-démographique !
– Et puis nos héros, ce sont les entrepreneurs qui créent de l’emploi ! Citons Céline Cabanne à Maurs qui a fait émerger le magasin de producteurs La Halte Paysanne, Jacques Ducatillon qui a fait de même à Massiac avec Talents d’Ici. Leur action est cruciale car elle permet aux producteurs de mieux vivre de leur travail tout en développant les circuits courts si vertueux pour l’environnement.
– J’aime aussi les boulangers bio de La Mie Chamalou et du Pain et des Jeux, tous installés dans le pays de Murat (croyez-vous que ce soit un hasard ?).
– Pour rester dans le secteur, mention spéciale à Pierre Conquet, artisan boulanger à Murat qui fait perdurer la vraie recette des cornets (délicieusement moelleux) de Murat. Sans oublier Christian Vabret et son école française de boulangerie et pâtisserie !
– Bien sûr Serge Vieira qui a boosté considérablement l’attractivité de Chaudes-Aigues avec ses hôtels restaurants
– Bien sûr Philippe Matière, personnage complexe, mais auquel on ne peut enlever la puissance de travail qui force l’admiration et qui porte les couleurs du Cantal très loin du siège arpajonnais de l’entreprise.
– Emmanuel Jalenques, parce que, quand même, faire tourner une entreprise à la pointe de la technologie à Mourjou, c’est une performance incroyable. On ne le dit pas assez !
– Tous ces élus-entrepreneurs qui font moins de discours qu’ils ne mènent d’actions concrètes pour leurs collectivités. Mes regards se tournent vers Murat, Marcolès, Parlan, Vic-sur-Cère, et bien d’autres !
– Je n’oublie pas les entrepreneurs qui sont passés par Catapulte qui mériteraient tous leur place ici. Citons par exemple David Peyral qui aide les artisans à améliorer leur rentabilité et en cela a une action déterminante pour l’économie locale.
– Emmanuel Hébard, qui avec l’entreprise familiale, conçoit des bijoux d’esthétisme avec des outils de haute technologie. Tout cela avec de la pierre de Bouzentès !
– Les soeurs Tiravy qui ont créé leur entreprise de services à la personne et sont aujourd’hui à la tête d’une belle PME. Probablement une des seules d’Aurillac à avoir été créé depuis l’an 2000 et à compter aujourd’hui plus de 20 salariés.
– etc, etc…
Vous vous en doutez, cette liste est très lacunaire. Vous la compléterez vous-mêmes. Vos commentaires sont les bienvenus.
L’important, c’est que nous soyons fiers de ce que nous faisons. Ne nous sous-estimons pas. Facilitons la vie des gens qui se bougent dans le Cantal, et évitons de faire indirectement la promotion de l’expatriation.
- Un édito de Sébastien Pissavy
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