À la fin de l’été 2018, Augustin Carstens, directeur de la Banque des règlements internationaux, a pronostiqué une crise d’ampleur internationale si le Président Donald Trump poursuivait sa stratégie de remise en cause de l’ordre multilatéral libéral.
De fait, l’augmentation des tarifs douaniers, les sanctions économiques et les politiques de rétorsion génèrent mécaniquement baisse de l’activité économique et chômage. Il n’existe pas de précédent où les guerres économiques n’aient pas connu que des vaincus.
Une analyse objective oblige pourtant l’observateur à typologiser l’arme économique telle qu’utilisée par le chef d’État américain.
Vis-à-vis de la Chine, de l’Union Européenne et de l’Amérique latine, la stratégie consiste en une bilatéralisation des relations commerciales dans l’objectif d’obtenir des avantages pour la première économie mondiale. L’Organisation Mondiale du Commerce se retrouve in statu moriendi du fait de cette politique tandis que Washington bloque la capacité de l’organe de règlement des différends de l’OMC en refusant de renouveler les juges de ce tribunal ; bloquant ainsi le processus judiciaire saisi par Pékin et par les Européens.
Avant de décéder, Paul Samuelson, apôtre du libéralisme économique, avait consacré sa dernière analyse à s’interroger sur le point de savoir si la dynamique économique de la Chine ne contraindrait pas les États-Unis à revisiter l’ordre libéral créé à la fin du second conflit mondial.
Chaque jour, le déficit commercial américain vis-à-vis de Pékin augmente d’un peu plus d’un milliard de dollars, la Chine étant devenue au fil des ans le premier créancier des États-Unis d’Amérique. Renouant avec la politique du « Big Stick » mais l’appliquant cette fois au commerce, Donald Trump a placé mille milliards d’exportation chinoise sous droits de douane relevés.
Il fait fi de la violation en la matière du Traité de Marrakech qui permit de passer du « General Agreement on Tarifs and Trade » à l’Organisation Mondiale du Commerce. Dans une pure politique du rapport de force, il veut contraindre Pékin.
De fait, le trumpisme incarne en la matière le refus de voir la Chine devenir la première puissance économique mondiale.
En Europe, c’est l’Allemagne qui est directement visée. L’étude de la balance du commerce extérieur des États-Unis révèle en effet un déficit annuel de 400 milliards de dollars avec la Chine, de 95 milliards de dollars de déficit avec le Japon et de 65 milliards de dollars de déficit avec Berlin.
L’allié historique devient ainsi le perturbateur économique. Avec fort peu d’aménité, Donald Trump l’a indiqué à la chancelière Angela Merkel dont la stratégie à l’égard de Washington est depuis lors résumée par le mot « émancipation ».
Dans les relations avec les autres pays américains, la re-bilatéralisation du monde voulue par le 45ème président des États-Unis, prend pour forme la remise en cause du traité de l’Association des États Nord-américains (ALENA) qui perturbe grandement le grand allié du Nord qui est le Canada et déstabilise le Mexique, partenaire historique du Sud.
Une stratégie de cette nature ne peut produire que des perdants si elle s’inscrit sur le temps long. Madame Christine Lagarde, directrice du Fonds Monétaire International, pronostique en ce sens un tassement de la croissance économique mondiale si ce scenario prévalait.
On peut toutefois penser que, au-delà de l’unilatéralisme brutal qui prévaut actuellement, l’effet recherché par la Maison Blanche est l’obtention d’une série d’accords bilatéraux au bénéfice des États-Unis.
En ce sens, l’accord avec le Mexique et le Canada signé le 27 août dernier est révélateur de la tactique américaine : ne relâcher l’étau qu’après avoir obtenu les concessions souhaitées.
Au-delà d’une guerre économique de façade destinée à restructurer la pré-éminence américaine, le trumpisme consiste également à manier les sanctions économiques comme outil privilégié de politique étrangère.
Vis-à-vis de la Russie, ces sanctions apparaissent principalement comme le moyen de démontrer que l’occupant de la Maison Blanche n’est pas taxable de collusion avec Moscou. Il n’en demeure pas moins que leurs effets bancaires et financiers sont devenus assez fortement dérégulateurs de l’économie russe.
Vis-à-vis de la Corée du Nord, ces sanctions, via le Comité des sanctions auprès du Conseil de Sécurité des Nations Unies, sont l’outil permettant de rappeler à Pyong Yang ses engagements car Donald Trump ne peut pas se permettre de perdre la face sur ce dossier qu’il a emblématisé en s’y donnant le rôle de sauveur de la paix… alors même que rien n’indique que la Corée du Nord respecte en quoi que ce soit un processus de dénucléarisation militaire.
Mais c’est vis-à-vis de l’Iran que sanctions et représailles américaines prennent toute leur dimension.
Alors que l’accord de Vienne du 14 juillet 2015 prévoyait la levée des sanctions contre la République Islamique d’Iran ; alors que l’agence internationale pour l’Énergie Atomique a confirmé le respect par Téhéran du contenu de l’accord, le Président américain, en parfaite adéquation sur ce point avec Israël et l’Arabie Saoudite, exige une renégociation et, notamment, l’extension du traité à la prolifération balistique.
Au mois de mai 2018, l’administration Trump a décidé le retrait unilatéral du traité. Le 8 août 2018, Washington rétablissait l’ensemble des sanctions économiques, commerciales et financières contre l’Iran. Le même jour, l’Union Européenne et la Russie officialisaient leur refus d’appliquer ces sanctions. Immédiatement, Donald Trump menaçait de représailles tout pays qui contournerait les sanctions américaines. Parmi les moyens d’actions dont disposent les États-Unis, citons, par ordre d’efficacité, les lois d’extra-territorialité, le contrôle de sous-traitants américains et toutes les transactions en dollars.
On y ajoutera les pressions diplomatiques, voire les menaces de suppression de l’aide américaine (utilisées notamment sur l’Irak pour bloquer le rapprochement entre Bagdad et Téhéran). Résultat du processus : de Total à Peugeot, les entreprises européennes abandonnent leur projet iranien au vu de ce que leur coûterait la fermeture du marché américain. La Chine devient mécaniquement le méga partenaire de l’Iran. L’autoroute Pékin/Téhéran sera le tronçon prioritaire de la « nouvelle route de la soie » et la CNPC récupère l’exploitation et la prospection du gaz et du pétrole iranien. Téhéran devient ainsi le premier fournisseur d’hydrocarbures de la Chine.
On peut néanmoins s’interroger sur l’objectif final du Président américain.
Il est plus que probable que ce dernier soit le changement de régime visant à la chute de la mollahcratie iranienne.
Bien que nié par l’administration Trump, la volonté d’un « Regime Change » est plus qu’une hypothèse. La crise financière, l’effondrement du Rial et la crise économique débouchent sur une tension sociale et la contestation du Président Fereydoun Rohani qui avait été plébicité pour l’accord de 2015.
Une telle stratégie n’est exempte d’effets pervers.
Alors que l’on dispose à Téhéran d’un Président de la République dont l’objectif est l’ouverture de l’Iran au monde, le Conseil de discernement, le Conseil des gardiens et le Guide suprême de la Révolution, l’Ayatollah
Khamenei instrumentalisent à leur profit le mécontentement populaire pour éviter l’ouverture du pays et la remise en cause de leurs prébandes tant politiques qu’économiques.
La crise de 2009 devrait également nous rappeler que ce sont les Pasdarans, véritables État dans l’État, structure politico-militaires contrôlant des pans entiers du pays qui deviennent l’outil de répression en cas de crise ouverte, renforçant à chaque fois leur pouvoir politique.
On est dès lors confronté à un cas d’école : celui de l’opportunité d’une crise majeure en Iran débouchant sur l’arrivée au pouvoir de dirigeants nous faisant amèrement regretter l’actuel Président Rohani.
Parmi les effets collatéraux de cet unilatéralisme retrouvé, il convient de mentionner la diminutio capitiis de l’OPEP depuis que les prix du baril se négocient davantage entre Washington-Moscou et Riyad qu’au sein des 15 pays composant le cartel officiel des principaux producteurs.
Quant à l’OTAN, les 28 partenaires des Américains n’ont pas manqué d’être déconcertés par la position du Président américain que l’on peut résumer par l’assertion suivante : « If You Don’t Pay, You Don’t Play ». Les Américains qui assurent les 2/3 du budget de l’organisation entendent ainsi rééquilibrer les charges financières ».
L’Allemagne prend dès lors conscience que le parapluie américain devient incertain. Le Président français, Emmanuel Macron, dans une attitude post-gaullienne, y voit l’opportunité de constituer une véritable défense européenne mais se heurte à une Europe peu encline à assumer les charges de sa souveraineté et à un Royaume Uni polarisé par l’effet du Brexit.
Quant à la Turquie, 2ème armée conventionnelle de l’OTAN par les effectifs, elle est un cas pathologique de contradictions puisque, alliée des Américains, elle est sous sanctions des États-Unis depuis l’été 2018 et le est devenue partenaire militaire clé de la Russie sur le théâtre syrien.
Un tel contexte autorise-t-il à parler d’isolationnisme américain ? La réponse est très clairement négative. Le trumpisme est un protectionnisme tactique visant à conforter l’hégémonisme monétaire, économique et commercial de l’État américain. En politique étrangère, l’interventionnisme militaire n’est nullement écarté par Donald Trump comme en témoigne durant la 72ème Assemblée Générale de l’ONU sa proposition à plusieurs Chefs d’États d’Amérique latine de mener une action au Venezuela… »
Un article de Gilles Flichy,
- Animateur du club APM ANM
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- Président de l’Institut de la Vocation