« Troisgros » ou le management sublimé dans l’univers de l’excellence et de la très haute expérience culinaire.
Une histoire vraie hors du commun
Un séjour chez « Troisgros » évoque en amont une sensation d’accéder à un territoire sacré, inaccessible et élitiste, réservé à une caste de privilégiés pour qui le statut sert de frontière symbolique, infranchissable au reste du monde profane.
Bref il en va, en quelque sorte de l’accession à l’Olympe et on imagine mal qu’un Prométhée audacieux et rusé puisse fomenter le rêve de se transformer en Arsène Lupin afin d’en franchir impunément le seuil.
Les choses se compliquent quand l’impensable réalité, suite à la volonté d’un club d’entrepreneurs attentionnés et généreux envers son animateur qui décide justement de lui en faire cadeau.
C’est précisément de cette manière là que le ciel m’est tombé sur la tête me permettant ainsi d’accéder à l’Olympe en évitant d’avoir à m’y hisser par mes propres moyens.
Reste le sentiment et la sensation bizarre d’avoir à s’interroger sur sa propre légitimité à franchir, en toute impunité, les portes du paradis au risque d’être foudroyés sur le champ sans sommation.
Ajoutez à ces interrogations, un contexte mondial marqué par le défi climatique, une crise sanitaire omniprésente depuis déjà deux ans et le retour de la guerre en Europe, tous les marqueurs sont au rouge pour entretenir, en coulisse, un sentiment de culpabilité. Puis-je, en effet, m’autoriser sans états d’âme, à quitter le misérable pour se réfugier dans le sublime ?
Le temps passant, l’heure de la rencontre s’impose de façon inévitable et me voila parti avec mon épouse partagé entre le désir de connaitre et la crainte de se retrouver en décalage.
Rendu à bon port, en pleine campagne Roannaise, devant le lourd portail de fer du temple de la gastronomie française il est trop tard pour fuir cette confrontation. J’actionne, instinctivement, la sonnette en déclinant mon identité et observe, non sans émotion le portail s’ouvrir lentement, découvrant la cour intérieure des lieux recouverte d’un gravier blanc rassurant.
Une fois le seuil franchit je constate avec soulagement que mes appréhensions s’envolent et qu’un sentiment de sécurité et de bien-être s’installe.
Entre la ferme et le couvent,… l’exceptionnel
Le plus surprenant, d’emblée , c’est la rencontre des sourires et des paroles avenants d’une escouade de jeunes femmes vêtues d’uniformes à la fois simple et de bonne facture qui évoque la sobriété du vêtement des paysannes et les robes de bures des nones. Sommes-nous subitement en présence d’anges débarqués d’un autre monde ou d’adeptes d’une secte vouée au culte de la frugalité.
En tout cas, il est surprenant de se retrouver, à la fois, dans un lieu mythique d’exception et au cœur d’un monastère cistercien à la beauté austère. Le plus étrange est l’émergence d’un sentiment empli de douceur et de sérénité incitant à la confiance et au lâcher prise. Il m’apparait, avec du recul, que cette sensation de sécurité apaisante qui s’installe spontanément, découle du contraste de deux monde contradictoires que tout oppose.
La beauté absolue du dénuement frugal qui s’allie au comble de l’excellence hôtelière et gastronomique. Ne serait pas la clef d’une vision d’entreprise éclairée portée par un art du mangement consommé ?
Le paradoxe au service de l’art de manager
Après avoir découvert la magie des lieux et avoir déambulé dans le dédale du parc et de son étang, c’est à l’occasion de l’entrée dans l’antre du temple de la gastronomie que tout prend sens.
Une visite accompagnée par le maitre des lieux, César Troisgros , le patron, dans l’atelier des dieux, la cuisine, parachève se sentiment de participer à une cérémonie où officient de grands initiés et d’étrange magiciens. « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté » nous souffle Baudelaire en découvrant toute cette féérie. Tout le monde s’affaire dans un calme impressionnant et tout semble facile, agréable et enchanté. Au jeu d’ombre et de lumière se mêle le doux et léger froissement des robes des fées du logis dont l’incessant ballet se déroule sous nos yeux comme par enchantement. Et pour parachever le tout, les yeux mi-clos, je me laisse envahir par cette ambiance dionysiaque entremêlée de parfums subtils et rares et des vagues senteurs singulières.
Ais-je été transporté, comme par magie, dans les coulisses de l’opéra de Paris, ou les danseurs étoiles évoluent d’un pas sûr, élégant et léger au milieu de multiples corps de métiers, juste avant la levée de rideau. Suis-je plutôt propulsé, à mon insu, dans un tableau de Millet qui révèle sans fard le merveilleux dissimulé au cœur de la nature.
S’en suit un échange spontané et agréable avec César orienté, non pas autour de ses talents gastronomiques, mais davantage au cœur de ses recettes de management. Ce partage impromptu devient rapidement passionnant et inspirant et je me surprends à imaginer le rôle qu’un tel démiurge pourrait jouer au sein d’un parterre d’entrepreneurs et de dirigeants.
Cet assemblage unique de talent, d’attention, d’innovation et de charisme me font entrevoir ce qui est au-delà des ingrédients du succès d’une entreprise performante. Ce qui s’impose c’est une association de compétences et d’appétences ainsi que la présence du sens, des valeurs et du plaisir donné et partagé. Ce cocktail rare de talents et de professionnalisme se diffuse, tel un précieux élixir, jusqu’au plus profond des cellules de notre corps, de mon âme et de mon esprit.
L’art de la mise en scène au service de la table
S’assoir à table chez « Troisgros » c’est être accompagné, comme il se doit, jusque dans une loge d’un théâtre prestigieux. La chorégraphie du spectacle est inspirée par un Metteur en scène hors du commun qui transmet son génie et sa passion au corps de ballet composée des serveuses, maitres d’hôtel et de sommeliers. Comme par enchantement l’ensemble du personnel s’est métamorphosé en un clin d’œil en acteurs talentueux qui évoluent de concert avec grâce, agilité et maestria autour des tables où les spectateurs enivrés sont transportés dans un véritable état de conscience modifié.
C’est alors que la saveur et les parfums des innombrables mets et vins s’entremêlent de façon sensuelle et enivrante à la magie de ce ballet paradisiaque. Nous assistions, en direct, à la naissance d’une œuvre d’art, créée de façon éphémère par des professionnels et des artistes talentueux.
Des hommes et des Dieux présents on ne peut plus alors distinguer les uns des autres ; la magie est à son comble.
Plus qu’un régal, il s’agit d’un merveilleux spectacle où règne un mélange de gentillesse, d’attention, de prévenance, d’esthétisme et d’agilité qui enchantent les convives.
De cette expérience d’un voyage sensoriel à travers le temps, l’espace, guidée par une quête de l’authenticité au service de l’excellence et de la très haute gastronomie, il apparait que la raison d’être de « Troisgros » c’est « Le plaisir de faire plaisir ». Pour atteindre ce graal, il faut cultiver inlassablement un potager de qualités bien singulières et mystérieuses : l’authenticité, la gentillesse, la rigueur, l’austérité, l’excellence, la beauté, l’esprit de partage et la créativité.
Les noces sacrées de la simplicité et du complexe
« J’aime le naturel », nous livre Michel Troisgros en acceptant de faire cohabiter harmonieusement l’extrême simplicité de la nature et la complexité la plus aboutie de l’excellence hôtelière et gastronomique. Au cœur de cette contradiction qui rejoint l’art de l’orientation professionnel que je pratique se situe une recherche incessante.
Il s’agit tout simplement d’apprendre à se connaitre puis à se réaliser en mettant en œuvre les talents que nous avons reçus et valorisés. En créant ainsi du sens et du plaisir au cœur de notre activité professionnelle afin de toujours mieux servir les autres, nous rencontrons ainsi notre vocation et éprouvons la joie.
Ainsi s’achève la leçon de management de la Maison Troisgros qui nous invite à conjuguer la simplicité et la complexité en développant un management fondée sur la coopération, l’innovation et le respect mutuel.
C’est en s’inspirant de leur réussite magistrale que nous parviendrons à promouvoir les bienfaits du « plaisir de faire plaisir » auprès de nos clients et de nos collaborateurs, gage de la réussite pérenne de nos entreprises.
Un article de Gilles Flichy,
Animateur de l’INTERCLUB & Président de l’Institut de la Vocation
Tel : 06 08 93 72 99 Mail – gillesflichy@hotmail.com