Étonnant : combien vaut le Groenland ?

Aujourd’hui nous sortons largement de notre périmètre régional pour nous intéresser à un exercice de comptabilité complexe : Estimer le prix d’un pays. La récente sortie du fougueux Présidents des États-Unis Donald Trump, qui a déclaré vouloir acheter le Groenland, implique de se questionner sur son prix, qu’il est quasiment impossible d’estimer précisément. Combien, s’il l’achetait réellement, les États-Unis devraient-ils payer le Groenland ? Les deux méthodes traditionnellement utilisées pour évaluer un actif (action, obligation, maison…), celle par comparaison et celle basée sur l’estimation des flux futurs, donnent des résultats à la fois peu fiables et très disparates, allant d’un rapport de un à cent. Nous vous partageons ici les résultats de l’étude diligentée par le cabinet Asterès. Pour rappel nous n’approuvons en aucune manière le projet expansionniste de l’homme à la mèche, et nous restons attachés au principe d’inviolabilité des frontières d’un État souverain.

Rapide histoire du Groenland

Le Groenland, vaste île située entre l’Atlantique Nord et l’océan Arctique, a une histoire riche et complexe. Peuplé dès 2500 av. J.-C. par les Paléo-Esquimaux, il voit l’arrivée des Vikings, menés par Erik le Rouge, au Xe siècle. Ces derniers y fondent des colonies, mais elles disparaissent mystérieusement au XVe siècle. Les Inuits, arrivés vers le XIIIe siècle, prospèrent grâce à leur adaptation au climat arctique. En 1721, le Danemark-Norvège établit une mission luthérienne, marquant le début de la colonisation danoise. Le Groenland devient officiellement une colonie danoise en 1814, puis un territoire d’outre-mer en 1953. En 1979, il obtient une autonomie interne, renforcée en 2009 par un contrôle accru sur ses ressources. Aujourd’hui, il est confronté à des enjeux climatiques et économiques, liés notamment à la fonte des glaces et aux ressources minières.

Méthode comparative : de 10 à 77 milliards de dollars

Une façon d’évaluer la valeur d’un actif est de le comparer aux autres transactions réalisées. Pour savoir combien vaut, par exemple, une maison ou une action, la méthode la plus facile est celle consistant à regarder combien ont été vendus des actifs comparables. La difficulté, dans le cas du Groenland, est que les achats de territoire entre pays sont rares. Si, jusqu’au début du XXème siècle, il était commun d’acheter des pays ou des régions, notamment lorsqu’une large partie du monde était sous la domination d’empires, la pratique s’est arrêtée quand les pays sont devenus souverains et ne pouvaient donc plus être vendus comme une banale parcelle de terrain. Le dernier achat d’un territoire par les États-Unis a été effectué en 1915, avec l’acquisition des Iles Vierges. Le manque de transactions récentes complique grandement l’utilisation de la méthode comparative, car cela reviendrait à estimer le prix de votre maison à partir du prix de vente de la maison de votre voisin il y a un siècle.

Une estimation basée sur cette méthode estime cependant la valeur du Groenland entre 12,5 milliards de dollars (si l’on compare à l’achat des Iles Vierges en 1915) et 77 milliards de dollars (si l’on compare à l’achat de l’Alaska en 1867). Pour réaliser cette estimation, les prix de vente de l’époque ont été ajustés en prenant en compte non-seulement l’inflation, mais aussi l’évolution du PIB, car la croissance économique accroît la capacité à payer, ainsi que la capacité d’un territoire à générer des recettes, donc son prix (il n’est pas évident de savoir à partir de quelle variable il serait le plus pertinent de comparer le prix de vente d’un pays dans le temps). Il est difficile de savoir qui, de l’Alaska ou des Iles Vierges, sont une meilleure comparaison pour estimer le prix du Groenland. En effet, l’Alaska est géographiquement plus comparable au Groenland, mais les Iles Vierges avaient été achetées avant tout pour des raisons militaires (dans le contexte de la Première guerre mondiale), ce qui rend cette transaction plus comparable avec les objectifs affichés par Donald Trump dans sa volonté d’acquérir le Groenland.

En se basant sur la proposition de l’administration Truman en 1946, le Groenland vaudrait 10 milliards de dollars. En 1946, l’administration Truman avait fait une offre au Danemark (rejetée par ce dernier), afin d’acheter le Groenland pour 100 millions de dollars. Si l’on rapporte cette somme en dollars d’aujourd’hui en se basant sur la croissance nominale américaine entre ces deux dates (pour ne pas prendre en compte que les prix mais également la capacité des économies à générer de la richesse), on peut estimer la valeur du Groenland à 10 milliards de dollars.

Méthode des flux futurs : Environ 1 100 milliards de dollars

Un actif peut être évalué à partir de ses rendements futurs. Une manière d’estimer, par exemple, le prix d’une action ou d’une maison est d’estimer combien ces actifs rapporteront dans le futur (en dividende, loyer ou plus-value) et en actualisant le résultat (pour prendre en compte l’inflation future). Dans le cas du Groenland, il ne faut pas estimer son prix à partir du PIB actuel ou futur du pays (3,2 milliards de dollars), car le PIB n’estime qu’un flux de richesses créées et pas la valeur totale des minerais présents dans le sol qui pourraient être exploités dans le futur et qui représentent l’intérêt économique potentiel du Groenland. D’après une étude, la valeur totale des richesses du Groenland atteindrait 1 100 milliards de dollars, c’est-à-dire les recettes totales (hors coûts d’extraction) que pourrait générer l’exploitation des ressources du Groenland à l’avenir. Cette estimation est cependant très aléatoire, pour des raisons tant politiques qu’économiques.

Acheter un pays n’est pas similaire à acheter un actif financier « standard ». Un pays est peuplé d’habitants qui ont légitimement leur mot à dire sur le pays auquel ils seraient rattachés. Cela a pour première conséquence que le nombre d’acheteurs potentiels (ou d’acheteurs auxquels un pays serait prêt à « se vendre ») est très limité, le « prix d’un pays » est donc difficilement comparable au prix, par exemple, d’une action en bourse, qui peut être achetée par un grand nombre d’investisseurs. De plus, par le passé, les achats et ventes de pays ou régions étaient tout autant dictées par des raisons géopolitiques que financières (comme dans le cas de la Louisiane ou de l’Alaska), ce qui limite la portée d’estimations purement économiques. Enfin, si les Etats-Unis achetaient le Groenland, il leur faudrait continuer à financer une large part de son budget, puisque le Danemark (auquel est rattaché le Groenland) y contribue à hauteur de 53 %. La valeur du Groenland devrait donc être amputée de cette contribution financière future actualisée.

 

La quantité, le prix et le coût d’extraction des ressources du Groenland sont incertains. Du fait de sa situation géographique, le volume exact des minerais dans le sous-sol du Groenland est mal connu. De plus, le prix des ressources naturelles est très volatile. Enfin, il faudrait également considérer le coût d’extraction de ces ressources (probablement élevé du fait de la géographie du Groenland) afin d’obtenir leur rendement financier qui devrait être le seul pris en compte dans l’estimation du prix du Groenland.

 

 


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Pierre-Edouard Laigo

Directeur et Rédacteur en Chef

Communicant qui aime marier des entreprises de la région


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