Huit chercheurs et chercheuses, éthologistes, physiologistes, neurobiologistes et généticiens, avec à leur tête Alain Boissy du centre INRAE de Theix (63) reçoivent le Laurier 2021 Impact de la recherche. Ils représentent un réseau de plus de 100 personnes œuvrant à INRAE sur le bien-être des animaux et sa prise en compte dans les systèmes d’élevage.
Construire une relation humain-animal respectueuse des deux parties, éviter les souffrances à l’animal, lui offrir des expériences positives
Jusque dans la seconde moitié du XXe siècle, on entendait : « Il faut adapter les animaux à l’élevage, avoir des races dociles pour sécuriser l’homme, éviter le stress à l’abattage pour préserver la qualité de la viande. » Maintenant, il est plutôt question d’adapter les élevages aux animaux, de construire une relation humain-animal respectueuse des deux parties, d’éviter les souffrances à l’animal et de lui offrir des expériences positives tout au long de sa vie. C’est une véritable révolution sociétale qui s’est jouée en quelques décennies, depuis les années 80. Grâce au développement de l’éthologie et à sa complémentarité avec d’autres disciplines (physiologie, neurobiologie, génétique, sociologie), la recherche a accompagné cette évolution.
Le collectif d’INRAE récompensé par les Lauriers en 2021 est représentatif de ce croisement des disciplines qui a permis à la fois de développer des recherches reconnues internationalement et d’initier des changements concrets dans les pratiques d’élevage.
Une étape clé : la reconnaissance des émotions chez l’animal
Les éthologistes d’INRAE ont développé une méthode rigoureuse pour étudier les émotions chez les animaux d’élevage. Leurs résultats montrent que, tout comme les humains, ces animaux ressentent de la peur face à la nouveauté et de la frustration lorsque la situation ne répond pas à leurs attentes. Ils sont rassurés par des évènements prévisibles et apprécient de contrôler leur environnement. Les connaissances acquises sur la relation mère-jeune et, plus globalement, sur les liens sociaux, ainsi que la démonstration de leurs capacités cognitives, contribuent également à rapprocher les animaux de l’humain. La neurobiologie quant à elle montre que, chez les mammifères, des structures cérébrales similaires sont mises en jeu dans différents comportements émotionnels.
« Même s’il est encore difficile d’avoir des indicateurs opérationnels de leur état mental, nous avons considérablement progressé dans l’objectivation des émotions des animaux » analyse Alain Boissy. Ces avancées ont été concrétisées par le programme européen Welfare Quality®, qui a établi en 2010 un référentiel européen pour l’évaluation du bien-être animal. Il comporte des mesures sur l’animal, sa santé et son comportement, en plus des mesures sur les conditions d’élevage. « C’était une très grande aventure, pas moins de six ans de travaux », souligne Isabelle Veissier, qui a coordonné le groupe de travail chargé d’établir le modèle d’évaluation multicritères du bien-être.
Deux expertises scientifiques collectives inédites, coordonnées par INRAE et consacrées respectivement aux douleurs (2009) et à la conscience (2017) chez les animaux, ont donné une visibilité supplémentaire à ces travaux. La capacité de conscience chez les animaux était alors encore un mot tabou. Pourtant, les neurobiologistes ont localisé des zones du cerveau impliquées dans la conscience, situées chez l’animal comme chez l’homme dans le cortex et dans les structures sous-corticales. Rares dans le paysage de la recherche, les travaux de Claudia Terlouw ont contribué à comprendre les principes neurobiologiques des pratiques d’étourdissement des animaux et à évaluer l’état d’inconscience de l’animal.
Des résultats qui infusent dans la société
Les leviers en faveur du bien-être animal dans les élevages sont de plusieurs natures. Pour Armelle Prunier, l’influence de la réglementation est décisive, comme l’illustre le cas de la castration des porcelets mâles : « Il a d’abord fallu démontrer que cette pratique, destinée à éviter les mauvaises odeurs de la viande, est douloureuse pour les animaux. » En mesurant le comportement des animaux et les signes physiologiques du stress (libération de cortisol, d’ACTH, d’adrénaline) et en montrant que ces manifestations comportementales et physiologiques disparaissent lorsqu’on applique un analgésique, les travaux d’Armelle ont contribué à faire admettre l’existence de la douleur causée par cette pratique. Peu à peu, cette douleur est prise en charge avec l’application systématique d’un anti-inflammatoire juste avant l’opération, sur l’initiative de la filière en 2012, puis avec l’obligation réglementaire de l’anesthésie en 2022. Cependant, la meilleure solution reste d’éviter la castration. Armelle a identifié des marqueurs sanguins liés à la production des odeurs indésirables, marqueurs qui permettent de mettre en place des schémas de sélection. Elle estime possible la fin généralisée de la castration des porcelets dans une dizaine d’années.
Établir une relation positive avec l’animal par des pratiques spécifiques fondées sur une meilleure compréhension des animaux redonne un sens au métier d’éleveur, en phase avec la société
Au-delà de la réglementation, la satisfaction de l’éleveur est un puissant levier pour améliorer le bien-être des animaux d’élevage. En effet, la souffrance des animaux rejaillit sur les éleveurs. Au contraire, établir une relation positive avec l’animal par des pratiques spécifiques fondées sur une meilleure compréhension des animaux redonne un sens au métier et le place en phase avec la société, comme l’a montré Xavier Boivin. C’est un concept novateur appelé « One welfare » : un bien-être interdépendant entre homme et animal. Les éleveurs sont par ailleurs demandeurs de formation et se sont appropriés les principes du référentiel Welfare Quality® sous la forme de différents outils simplifiés développés avec les instituts techniques : Boviwell pour les bovins, Beep pour les porcs, Ebene pour les volailles et les lapins et Moubiene pour les moutons.
Informer les consommateurs
Nombre d’enseignes intègrent les préoccupations de bien-être animal pour répondre aux attentes des consommateurs. Des étiquetages et des labels se développent à partir d’initiatives privées. « Cependant, il est très important que les critères retenus soient pertinents du point de vue des animaux et transparents pour les consommateurs », souligne Alain Boissy, qui participe, ainsi que Pierre Mormède, à un groupe de travail de l’Anses pour établir les grandes lignes d’un étiquetage en France. Il existe une dizaine de labels européens, dont par exemple l’étiquetage des œufs selon les modalités d’élevage (bio, plein-air ou cages). Récemment, l’association AEBEA, rassemblant des groupements de producteurs, des distributeurs et des associations de protection animale, a mis en place un étiquetage bien-être animal pour le poulet de chair. Les indicateurs de l’outil Boviwell sont en train d’être incorporés dans le Label rouge, qui concerne 5 à 10 % de la production bovine. Néanmoins, les indicateurs relevés sur les animaux restent encore minoritaires par rapport aux indicateurs basés sur le milieu d’élevage, qui sont plus facilement mesurables… preuve qu’il y a encore du travail pour les chercheurs du collectif bien-être animal…
Et après ?
INRAE soutient le recrutement de chercheurs et chercheuses en comportement et neurosciences pour prolonger et renouveler le collectif et explorer de nouvelles pistes de recherche, parmi lesquelles :
Le développement de nouvelles technologies (capteurs, machine learning) pour automatiser l’observation du comportement des animaux et détecter précocement des anomalies afin que l’éleveur puisse intervenir rapidement.
L’inclusion de critères comportementaux de sélection pour des animaux plus robustes et mieux adaptés à des élevages moins intensifs. « Par exemple, des races de poules où les mâles pourraient aussi être valorisés en engraissement, quitte à avoir des poules moins productives », suggère Pierre Mormède.
Parallèlement aux recherches, le Centre national de référence pour le bien-être animal (CNR BEA), créé en 2017 par le ministère de l’agriculture et porté par INRAE, constitue une structure clé pour diffuser les connaissances, susciter des échanges entre toutes les parties prenantes et éclairer les politiques publiques pour des systèmes d’élevage plus respectueux des animaux.